L’architecture typique: techniques de construction et typologies
L’inventaire de l’architecture traditionnelle organisé par l’Assessorat à
l’Instruction et à la Culture depuis de nombreuses années confirme la variété des maisons dans les zones peuplées par les Walser. Grâce à la dendrochronologie, en Vallée d’Aoste, on peut dire avec certitude que l’on a individualisé des bâtiments du XVe siècle, construits peu de temps après leur installation, documentée au XIIIe siècle.
Ces bâtiments sont soit en gros troncs de conifères écorcés, soit en poutres équarries. Les premiers ont toutes les caractéristiques des constructions pionnières liées aux défrichements des forêts. On trouve des bâtiments très semblables dans les pays du Nord et de l’Est de l’Europe, tandis que les seconds sont plus semblables à certaines maisons du Valais ou du val Sesia.
Avant de les décrire, je veux cependant souligner que l’usage du bois n’est pas spécifiquement lié aux populations walsers. et aux parlers germaniques en Vallée d’Aoste. Les maisons anciennes de Cogne par exemple, dans lesquelles on habitait à l’étable toute l’année, étaient à la même période complètement en bois. Les mayens et les alpages de cette commune l’étaient aussi, jusque 2500 m d’altitude et l’alpage du Pousset l’est encore. De même, on trouve de nombreuses dépendances en bois, greniers et surtout raccards, dans presque toutes les hautes vallées d’expression francoprovençale : Valsavarenche, Valtournenche, vallon de Saint-Barthélemy, val d’Ayas, vallée de Champorcher. Les communes de l’adret, par contre, sèches et peu boisées, n’en possèdent presque plus, parfois plus du tout, comme Sarre, Saint-Pierre, Verrès,…
L’installation des Walser en Vallée d’Aoste s’insère dans un grand mouvement d’extension du peuplement de l’Europe rurale. Les hommes spécialisés dans la coupe des arbres étaient aussi d’habiles charpentiers et c’est grâce à la transmission de leur savoir-faire de génération en génération que l’on a continué dans certaines vallées, plus longtemps qu’ailleurs, à manier avec dextérité la cognée, la hache et la hachette, la scie et l’équerre, et pour les menuiseries, le rabot. C’est aussi parce que les Gressonards avaient des contacts commerciaux permanents avec le nord des Alpes qu’ils ont entretenus le goût de vivre dans le bois, alors qu’à Issime, où les hommes étaient spécialisés dans l’art de la maçonnerie, ils ont pour ainsi dire abandonné la construction ligneuse à la fin du XVIIe siècle. A Gressoney, elle a perduré encore plus d’un siècle, jusqu’au début du XIXe siècle. Les plus beaux stadel que nous avons sous les yeux sont des maisons rurales érigées au XVIIe et XVIIIe siècles, alors qu’à Issime, dans les villages, on ne construit plus qu’en maçonnerie et l’on se borne à récupérer les pièces de bois.
Les constructions de type pionnier sont bâties sur un fondement d’un étage en pierre et l’on y trouve l’étable, avec un coin destiné autrefois à l’habitation. La structure en bois est montée sur des plots insérés dans un cadre de poutres croisées qui répartit les charges sur les murs. Ces plots ont le pied fuselé, ce qui est une caractéristique vraiment liée à ce type d’édifice. L’ossature en poutres horizontales abrite en bas une aire de battage des céréales, un entrepôt des gerbes, de la paille et du foin et une chambre à provisions où se trouve parfois un lit. On l’appelle estoube ou spicher. La partie supérieure en encorbellement à l’aval et à l’amont servait à conserver davantage de foin. On note une différence nette entre les assemblages de la chambre et ceux de la partie grange-fenil.
Les maisons valaisannes ne connaissent pas la cohabitation à l’étable des bêtes et des gens, tel qu’on la pratiquait dans le Nord des Hautes-Alpes, de la Savoie (Tarentaise, Maurienne), de la Vallée d’Aoste, des vallées alpines du Piémont,… L’étable est située dans un bâtiment séparé de l’habitation. L’une des particularités du logis valaisan, très présent aussi dans le canton de Vaud, est qu’il se compose de deux espaces : la cuisine et le poêle, et, fréquemment, il existe une différence de matériau dans la conception même des deux espaces. La cuisine est en pierre à cause des risques d’incendie et le poêle est en madriers. La cheminée est insérée dans la cloison intermédiaire. Ce plan bipartite est très répandu en Vallée d’Aoste quelque soit la situation géographique des maisons et le matériau mis en œuvre. Ce sont les méizón et pélio des Francoprovençaux, les firhous et pejjle des Issimiens et les firhus et wonstobo des Gressonards, mais le type avec cuisine en pierre et poêle en bois est rare en Vallée d’Aoste. On ne le rencontre qu’à Gressoney, à Issime et à Valtournenche. Il y a un ou deux cas aussi à Oyace, à Bionaz, à Perloz. Ces bâtiments sont comme des reliques. Il est difficile, sans documents, de prouver qu’ils ont bel et bien été bâtis pour des maîtres d’ouvrage walser. Les maisons tout en madriers ont souvent des portes jumelées au niveau du logis et ce fait les apparente surtout à l’architecture des belles maisons du val Sesia, mais aussi par leurs finitions parfois aux greniers en bois de l’aire francoprovençale.
La grande maison-bloc en hauteur, qui abrite sous un seul grand toit, tous les espaces nécessaires à la vie et à la conservation alimentaire pour résister à 5, 6, 7 mois d’hiver s’impose partout en Vallée d’Aoste à partir du XVIIIe siècle, mais il y en a déjà qui sont en pierre dès le XVIe siècle à Issime, à Ayas, alors qu’à Gressoney, il faut attendre deux siècles de plus pour que ce matériau s’impose. A Ayas, une maison en pierre, surmontée d’un grand raccard avec aire de battage centrale et greniers en encorbellement, prédomine aux XVIIe et XVIIIe siècles, bien différente des stadel de Gressoney. Une caractéristique comparable cependant unit l’architecture du Canton des Allemands d’Ayas et celle de Gressoney, c’est la façon de construire et d’orienter la maison perpendiculairement à la pente, en tournant la façade vers la vallée.
Claudine Remacle, L’architecture typique: techniques de construction et typologies, publié dans les actes de la table ronde, avec exposition, du 28 août 2010 « Homines dicti Walser » , juillet- novembre 2010, Fort de Bard, Tipografia Duc, Saint-Christophe-Aosta, 2011.